La guerre de l’information est une menace croissante, notamment pour les démocraties occidentales dont tous les acteurs sociaux sont touchés. Dans ce chapitre, nous identifions en particulier la nécessité d’intervenir auprès des acteurs étatiques, afin d’identifier leur rôle et leurs tâches et de mettre en lumière les champs d’action prioritaires.
La thématique de la guerre de l’information («Information Warfare» en anglais) a une longue tradition, au niveau international comme en Suisse. À la fin des années 1990 et jusqu’en 2010 environ, le terme générique couvrait tous les sujets pertinents, de la guerre dans le cyberespace à la propagande, en passant par la désinformation ou encore la guerre psychologique. Le sujet a été traité à la fois dans le cadre de l’Exercice de conduite stratégique 97 (ECS) et conceptuellement au sein de l’armée suisse dans le cadre de l’étude conceptuelle Information Operations (KS IO). Aujourd’hui, l’utilisation de ce terme se réfère principalement à la manipulation de l’opinion publique à l’aide de méthodes sémantiques, les aspects technologiques constituant l’un des moteurs d’exécution de ces opérations.
Dans les années 1990, diverses organisations et chercheurs ont attiré l’attention sur les développements possibles de l’utilisation de la technologie numérique pour la production et la diffusion répétées d’informations manipulées. Cependant, ce n’est qu’avec l’avènement des réseaux sociaux et la disponibilité à large échelle des technologies d’apprentissage automatique/en profondeur à des prix abordables que cette problématique est devenue pertinente et concrète.
L’utilisation d’algorithmes d’intelligence artificielle, l’automatisation et la présence d’immenses quantités de données sur internet et les réseaux sociaux
modifient l’ampleur, la portée et la précision d’utilisation des campagnes de propagande informatisées pour manipuler l’opinion publique.
Aujourd’hui, il est possible de produire du contenu automatiquement ou semi-automatiquement, de le convertir en textes, en paroles et en images et de le rendre accessible à une masse ciblée de personnes, très rapidement et sans dépenses importantes. La nature des réseaux sociaux les rend particulièrement vulnérables aux attaques. Il est possible de créer et d’amplifier des bulles de filtres et des chambres d’écho; des mèmes, des photos et des vidéos peuvent être utilisés pour diffuser des informations sans vérification possible de la source; des communautés peuvent être attaquées en identifiant des profils personnels vulnérables ou des nœuds influents d’un réseau.
Les réseaux sociaux sont manipulés par les gouvernements et les partis politiques. Selon une étude de l’Oxford Internet Institute, il existe des preuves de campagnes de manipulation des réseaux sociaux organisées par des cybertroupes ou des partis politiques dans 70 pays en 2019, contre 48 pays en 2018 et 28 pays en 2017. Les États autoritaires utilisent la manipulation des réseaux sociaux comme un instrument de contrôle de leur propre population. Les États démocratiques sont la cible d’opérations d’influence menées par une poignée d’acteurs, dont (preuves à l’appui) la Chine, l’Inde, l’Iran, le Pakistan, la Russie, l’Arabie Saoudite et le Venezuela. Aujourd’hui, la Chine compterait entre 300 000 et 2 millions de personnes au sein de ses cybertroupes. De plus, ces dernières collaborent souvent avec le secteur privé, des organisations de la société civile, des sous-cultures internet, des groupes de jeunes, des collectifs de pirates informatiques, des mouvements marginaux, des influenceurs des réseaux sociaux et des bénévoles engagés idéologiquement pour une cause.
Les techniques utilisées pour mener des opérations d’influence sont multiples, à savoir la désinformation, le piratage social, les identités frauduleuses, les robots ou encore le trolling. Toutes ces techniques ont en commun d’influencer les processus politiques (p. ex. les élections) ou même de déclencher des révoltes et des révolutions. Le potentiel déstabilisateur de ce type de guerre repose sur une compréhension plus approfondie des processus de décision humains et de la dynamique des phénomènes de masse. Ces aspects peuvent à leur tour être simulés de plus en plus facilement grâce aux nouvelles technologies et aux nouveaux algorithmes.
Changer l’opinion publique d’un pays en faveur de l’agresseur. Les démocraties où le processus de décision politique est fortement ancré dans l’opinion publique sont donc particulièrement vulnérables à ce type d’attaque.
Pour l’agresseur, les opérations de manipulation sont intéressantes à plusieurs titres:
D’autre part, il est difficile d’évaluer l’efficacité et l’impact des opérations d’influence. En plus, le risque existe que l’agresseur en perde le contrôle. Néanmoins, on peut considérer que ces opérations ont modifié l’opinion publique à l’occasion de plusieurs événements récents, comme les élections aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France. La question de savoir si ces actions ont finalement été décisives reste ouverte.
Impossible également de savoir si la Suisse a déjà été la cible d’opérations d’influence élaborées. Certains éléments indiquent que de telles opérations auraient eu lieu en lien avec des thématiques politiques spécifiques (p. ex. le vote sur Billag ou la polémique sur la 5G).
La Suisse officielle estime que l’utilisation active d’informations manipulées pour atteindre des objectifs politiques n’est pas un moyen adéquat pour un État démocratique. Il est donc d’autant plus important de mettre en œuvre les actions suivantes en réponse à la menace de guerre de l’information (voir également le plan d’action de l’UE):
En général, les droits fondamentaux tels que la liberté d’expression sont essentiels et fortement ancrés dans notre société – les restrictions d’accès à l’information ne sont donc justifiées qu’en dernier recours dans les cas particulièrement graves de nature pénale. Une réponse rapide sous forme d’information est donc d’autant plus importante.
Explication de quelques formes courantes de guerre de l'information