C’est dans un des hauts lieux de la recherche en biotechnologies et en sciences de la vie que la SATW avait donné rendez-vous au public pour ce nouveau TecToday. Le Campus Biotech, ancien quartier général de MerckSerono, fait en effet partie de l’écosystème qui positionne la région lémanique à la pointe de la recherche mondiale dans le domaine des neurosciences et de la bio-ingénierie. Les progrès rapides de la science génèrent également leur lot de défis éthiques et sociétaux. Fidèle à sa mission d’information et de plateforme de dialogue, l’Académie suisse des sciences techniques a invité le grand public à venir s’informer et échanger lors de cette conférence.
Alexandre Luyet, responsable romand de la SATW, a souhaité la bienvenue aux participants en saluant « un thème de la santé qui nous touche toutes et tous » avant de passer la parole à Fabrice Delaye du magazine Bilan, qui assurait la modération de la soirée. Dans son introduction, il a rappelé les réalisations les plus marquantes de la médecine moderne et a souligné l'augmentation considérable de l'espérance de vie, même si le fossé entre pays riches et pays pauvres demeure. Si les développement technologiques ont un côté fascinant, dans le même temps elles nous obligent à nous poser des questions sur leurs limites, en particulier celles qui touchent à la frontière toujours plus floue entre soins, réparations et l’augmentation potentielle des capacités humaines. C’est sur ce thème que les 3 chercheurs présents ont déroulé leurs présentations, sous l’angle respectif de la recherche, de l’industrie et des patients.
Quentin Barraud a donné un aperçu des recherches qui sont menées au sein du laboratoire du Prof. Courtine à l'EPFL. Les résultats qu’ils ont obtenus en permettant à des rats, puis des patients, de remarcher après une lésion de la moelle épinière, ont fait le tour du monde l’an dernier. Le Dr Barraud a détaillé le protocole que l’équipe de recherche a développé, mêlant stimulation des nerfs à l’aide d’impulsions électriques et d’un programme de rééducation faisant intervenir un harnais robotisé. Encore plus impressionnant, ils ont pu démontrer que la stimulation exercée durant l'entraînement quotidien déclenchait également une amélioration persistante, qui perdure au-delà de la stimulation et permet d’envisager une récupération plus importante des facultés naturelles.
L'étape suivante a consisté à reproduire ces progrès en dehors de l'environnement contrôlé de l'hôpital, dans un environnement naturel. A cette fin, les chercheurs ont développé un système mobile avec commande vocale, qui permet au patient de gagner en autonomie. Quelles sont les prochaines étapes? L’équipe du Centre de neuroprothèses de l'EPFL planche actuellement sur une interface robotique (Soft Robotics) cerveau-machine pour stimuler la moelle épinière afin de pousser encore plus loin la récupération de la marche.
Alain Woodtli, Advanced Technology Program Manager du Wyss Center, également hébergé au Campus Biotech, a présenté ses activités de recherche sur les neuroprothèses. Dans sa présentation, il a mis l’accent sur le développement industriel de solutions medtech, conformément à la mission du centre.
Les implants actifs tels que les stimulateurs cardiaques ont déjà résolu de nombreux problèmes. Ils sont aujourd’hui considérés comme des technologies matures, fiables et robustes. De grands progrès ont également été réalisés dans le domaine des implants neuronaux. Mais de nombreux défis restent à surmonter, tels que l’alimentation électrique, le câblage ou les contraintes mécaniques posées par les mouvements du corps. Sans oublier les considérations esthétiques inhérentes à des dispositifs placés à l’intérieur du crâne. Enfin, le cerveau est caractérisé par une énorme complexité. Il est extrêmement difficile d’en comprendre les processus. Cela nécessite de pouvoir « lire » le cerveau grâce à une interface qui enregistre, transfère et décode les signaux. Au terme de son exposé, Alain Woodtli a interpellé le public. « Sous quelles conditions seriez-vous prêts à vous faire implanter des électrodes dans le cerveau ? Pour quels bénéfices espérés ? ». Pour trouver des réponses à ces questions, des discussions éthiques sont également nécessaires.
Dernier intervenant de la soirée, Christian Lovis a abordé le thème des données et plus particulièrement celui de la médecine personnalisée. En termes de données à usage médical, un changement de paradigme majeur a eu lieu ces dernières années : si par le passé, il était difficile d'obtenir des données, aujourd’hui des milliards d'entre elles sont produites chaque jour. Le défi consiste à pouvoir les traiter et les interpréter correctement. Le professeur Lovis est persuadé qu’elles peuvent également contribuer à améliorer la médecine. Il a donné l’exemple du Canton de Genève qui a mis en place un dossier électronique du patient. "Je suis très heureux de pouvoir travailler avec ces données pour acquérir de nouvelles connaissances" a souligné le médecin et chercheur en encourageant les participants à la conférence à en faire usage.
Autre avancée permise par la disponibilité de large échantillons, le diagnostic assisté par l’intelligence artificielle a fait de nombreux progrès ces dernières années et s’avère être un outil précieux pour les soignants.
En conclusion, Christian Lovis a mentionné le mouvement des Biohackers, qu'il qualifie de complètement fou. "Ces auto-expériences tournent généralement mal et sont ensuite fortement regrettées."
Jelena Godjevac, membre nouvellement élue de la SATW, et Samia Hurst ont rejoint les 3 intervenants précédent pour la table ronde. Modérée par Fabrice Delaye, elle s’est ouverte sur la question de la définition de l’amélioration. Lorsque l’on parle d’amélioration, comment caractériser ce « mieux » ? Samia Hurst rappelle que nous sommes déjà dans une certaine mesure « améliorés ». Que ce soit par des technologies qui augmentent nos capacités humaine, par exemple les transports qui nous permettent de nous déplacer plus loin ou plus vite, ou par des améliorations biologiques, comme dans les cas des vaccins qui nous ont permis d’éviter de contracter à un jeune âge une maladie autrefois potentiellement mortelle. La directrice de l’Institut Ethique, Histoire, Humanités (IEH2) à la Faculté de médecine de Genève souligne l’importance de la définition du but dans l’évaluation de la portée des technologies. Nous aurions tendance à penser que nous utiliserions pour nous-même les technologies dans un but noble, et dans le même temps nous soupçonnerions les autres de vouloir les utiliser à des fins qui seraient pour nous une menace. Cette situation conduit à une compétition basée en quelque sorte sur la méfiance qui s’auto-entretient, une course en avant mue par la peur d’un déclassement dans la compétition.
La question de l’accès aux technologies amélioratives était également au centre des préoccupations du public, tout comme leur coût. Ce dernier point serait un faux débat selon les experts. Ils donnent en effet l’exemple de nombreux services coûteux que nous finançons sans problème. La clé de décision serait dans la détermination de ce que nous considérons comme souhaitable ou non, de l’utilité démontrée d’une technologie et d’une acceptation large de cette utilité dans la population. A ce propos, Samia Hurst nous dit qu’une partie des craintes que nous avons par rapport aux technologies vient de notre difficulté à distinguer ce qui est bien et mal en tant que société. Un sujet qui dépasse finalement celui du travail de nos chercheurs et doit nous concerner toutes et tous.