Lors de ma participation au congrès “Artificial Intelligence and Culture: Convergences and Divergences” la question qui m’a été posée – “Can Artificial Intelligence sense the Zeitgeist and create Culture?” – m’a offert l’opportunité de réfléchir à une thématique centrale : la convergence entre l’art et la technologie. Cette relation est bien plus qu’un simple phénomène d’imitation ou de partenariat technique ; elle représente un potentiel culturel et économique considérable, qui mérite toute notre attention.
L’intelligence artificielle (IA), dans sa forme actuelle, est avant tout un formidable outil d’analyse. Des plateformes comme Google Gemini, ChatGPT, ou encore les outils créatifs comme DALL-E et Midjourney, nous montrent chaque jour comment l’IA capte les signaux de notre époque et rend visibles des motifs parfois invisibles. Cependant, au-delà de cette capacité d’observation, la véritable question est de savoir si l’IA peut innover, créer au même titre qu’un artiste humain, ou du moins participer activement à la production culturelle.
À mes yeux, l’IA doit être perçue non pas comme un créateur autonome, mais comme un “agent culturel” capable d’enrichir et de transformer le processus créatif. Elle est un partenaire de co-création, un collaborateur qui ouvre de nouveaux horizons artistiques. Par exemple, des artistes utilisant Midjourney ou DALL-E exploitent l’IA pour repousser les limites de leur propre imagination, explorant des styles et des formes qu’ils n’auraient peut-être pas envisagés seuls. Cette collaboration permet de démocratiser l’accès à l’art et d’étendre son influence bien au-delà des cercles restreints. Elle offre aux artistes la capacité de toucher des audiences plus larges, d’éveiller des émotions et des dialogues à une échelle mondiale, et de redéfinir les normes culturelles et esthétiques.
Cette synergie entre art et technologie n’est toutefois pas une nouveauté. Elle s’inscrit dans une longue tradition historique, où l’art a constamment évolué en lien avec les innovations techniques. De la bottega de la Renaissance italienne, où les peintres maîtrisaient à la fois le savoir artistique et les techniques de l’atelier, aux explorations cybernétiques de Nicolas Schöffer dans les années 1960, l’art et la technologie ont toujours cohabité, se nourrissant l’un de l’autre pour aller au-delà des limites de l’époque.
Sur le plan économique, cette convergence entre l’art et la technologie représente un potentiel inestimable. L’industrie créative, boostée par les technologies d’IA, ouvre des voies nouvelles pour les investissements, la création d’emplois et le développement de nouveaux marchés. Les plateformes numériques permettant à des artistes de collaborer avec des intelligences artificielles transforment les modèles économiques de l’art. Elles permettent de valoriser des œuvres, des concepts, et des expériences artistiques de manière inédite. Les entreprises, les institutions culturelles, et les start-up investissent de plus en plus dans l’intégration de l’IA dans les processus créatifs, créant ainsi une économie hybride où la technologie et la créativité humaine coexistent pour stimuler la croissance.
Au-delà de l’aspect purement économique, cette collaboration enrichit également l’expérience des utilisateurs. Elle offre une diversité visuelle et stylistique, au point que la notion d’auteur devient floue : est-ce l’artiste, le programmeur, ou l’algorithme lui-même qui mérite la reconnaissance ? Cette question d’attribution ouvre un débat fascinant sur la notion de propriété intellectuelle dans l’ère de l’intelligence artificielle, où les créations sont le fruit d’une interaction complexe entre l’intention humaine et l’exécution machine.
En conclusion, l’IA n’est pas seulement un outil mais une passerelle vers une culture élargie, plus accessible, et profondément connectée aux enjeux contemporains. Elle transforme la relation entre l’artiste et son public, entre l’œuvre et son créateur, tout en ouvrant des perspectives économiques et culturelles sans précédent. Par l’interaction de l’art et de la technologie, nous voyons se dessiner un monde où la création devient collective, enrichie par l’intelligence humaine et amplifiée par l’innovation technologique. Cette alliance nous invite à réimaginer le futur de la culture comme un espace dynamique de dialogue et de découverte, où l’IA, loin d’être une menace, est un compagnon créatif et un amplificateur d’émotions et de valeurs humaines.
Benoît Dubuis