Dans les années 1950, la Suisse a dû faire face à un défi de taille : la consommation d’électricité avait doublé en l’espace d’une décennie, et l’énergie hydraulique avait atteint ses limites. Inspiré par l’initiative du président Eisenhower « Atoms for Peace » (1953), Urs Hochstrasser perçoit rapidement le potentiel de l’énergie nucléaire. Physicien nucléaire à l’EPF et spécialiste en informatique, il rejoint le Bureau of Standards à Washington en 1955. Parallèlement à son activité de professeur assistant à l’American University de Washington et de professeur associé à l’université du Kansas, il contribue largement à la création du centre de calcul et à l’enseignement de l’informatique au Kansas.
Son expérience internationale en fait un expert très demandé. En janvier 1957, l’accord bilatéral entre la Suisse et les Etats-Unis sur l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques entre en vigueur. Urs Hochstrasser est nommé premier attaché scientifique auprès de l’ambassade suisse à Washington et devient le premier à endosser ce rôle pour le service diplomatique suisse. Quatre ans plus tard, le Conseil fédéral le nomme « délégué aux questions atomiques », un rôle pionnier qu’il assume avec clairvoyance et détermination.
Il marque tout particulièrement le développement de l’énergie nucléaire en Suisse. Il parvient à convaincre le conseiller fédéral Spühler d’encourager les centrales électriques à faire l’impasse sur les centrales au fioul – une étape intermédiaire – afin de se lancer directement dans la construction de centrales nucléaires. A cette époque, l’énergie nucléaire propre est déjà une priorité aux yeux d’Urs Hochstrasser pour des raisons de protection de l’environnement. Contrairement au pétrole, elle n’émet pas de dioxyde de soufre et presque pas de CO2, et permet d’assurer en permanence l’approvisionnement en électricité de la Suisse, en combinaison avec l’énergie hydraulique.
La commande du premier réacteur de la centrale de Beznau par la NOK dans les années 1960 marque un tournant. En 1969, Urs Hochstrasser n’est pas peu fier d’être invité à l’inauguration de cette centrale, qui est aujourd’hui la plus vieille au monde encore en service.
Outre son rôle de promoteur de l’énergie nucléaire, Urs Hochstrasser a également été un acteur essentiel dans le développement des procédures d’autorisation et des normes de sécurité pour les installations nucléaires. Cette double casquette de promoteur de cette nouvelle technologie et de superviseur serait difficilement concevable aujourd’hui. Pourtant, il jouissait de la confiance de ses contemporains et représentait la Suisse dans des organisations internationales comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) et dans le cadre de projets tels que Dragon et Eurochemic. Il a eu jusqu'à son dernier souffle une confiance inébranlable dans la sécurité des centrales nucléaires suisses.
L’engagement d’Urs Hochstrasser a largement dépassé le domaine de l’énergie nucléaire. Il a marqué de son empreinte la politique scientifique et de recherche de la Suisse en créant le conseil de la science, la division de la science et de la recherche et en complétant la loi sur l’aide aux hautes écoles (LAHE). A partir de 1969, il dirige la nouvelle division de la science et de la recherche au sein du Département fédéral de l’intérieur, laquelle deviendra l’Office fédéral de l’éducation et de la science par la suite. Jusqu’à sa retraite en 1989, il a été chargé de formuler et de mettre en œuvre une politique scientifique cohérente. Un rôle dans lequel la réussite n’était pas toujours garantie. L’article sur l’éducation échoue par manque de majorité des cantons lors de la votation populaire, mais bon nombre de ses visions perdurent dans le paysage actuel de la formation et de la recherche.
Son héritage scientifique reste perceptible même dans les périodes difficiles. En 2011, Urs Hochstrasser critique vivement la réaction politique à l’accident de Fukushima : « Si la centrale nucléaire de Mühleberg, de conception identique, avait été installée à Fukushima, la catastrophe aurait pu être évitée ». A 91 ans, il s’engage encore activement en 2017 contre la loi sur l’énergie interdisant la construction de nouvelles centrales nucléaires. En décembre 2024, il apprend que de nouveaux projets sont sur les rails, lesquels confirment ses convictions – une petite compensation pour l’engagement de toute une vie.
Au-delà de son intellect, ses collègues appréciaient aussi sa nature chaleureuse et sa passion pour la science. Urs Hochstrasser était un visionnaire mais aussi un véritable homme d’action, soit un modèle pour des générations de scientifiques.
La SATW est endeuillée par la disparition d’un scientifique et visionnaire exceptionnel. La vie d’Urs Hochstrasser a été marquée par une profonde conviction en la force de la science, qu’il a mise au service de la politique énergétique mais aussi de l’aménagement du paysage suisse de la formation et de la recherche. Son action a marqué les esprits et son héritage inspirera les générations futures.